D’un morceau de bois à brûler, Gepetto a su façonner Pinocchio de ses mains d’artisan, en lui donnant une âme d’enfant pour en faire un être pensant.
De quelques planches découpées et accessoires diversifiés, Jean-Charles Monzani a su façonner ses instruments, clavecins, épinettes et psaltérions de ses mains d’artisan, en leur donnant les sonorités d’antan.
Cet homme peu ordinaire que j’ai rencontré récemment a su construire sa vie autour de ses mains d’artisan et s’est nommé lui même : « facteur de clavecin amateur ». |
Jean-charles Monzani,
décoration du clavecin flamand Delin |
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Hervé Gallien : Jean-Charles Monzani, pouvez-vous vous présenter ?
Jean-Charles Monzani : Je suis né en 1943 à Borgomanero en Italie. Je suis arrivé à Aix-les-Bains en 1947. J’ai exercé la profession de prothésiste dentaire, profession jusqu’à ma retraite en 2003. Je suis marié et père de deux enfants : Florence, professeur de clavecin à Angoulême et Jean-Sébastien, informaticien à Lausanne.
H.G. : De la prothèse dentaire à la fabrication d’instruments, quel a été votre parcours ?
J-C.M. : Je suis très manuel et ma passion est de créer de mes propres mains . On dit que le passage de la prothèse dentaire au clavecin n’est pas très difficile à franchir … peut-être puisque patience, dextérité et précision s’appliquent tout aussi bien à ces deux activités.
Le son du clavecin et en général des instruments anciens m’a toujours attiré ; et le jour où j’ai appris que la maison Heugel avait mis sur le marché les premiers clavecins en kits, j’ai sauté sur l’occasion, et me suis dit que je ne risquais pas grand chose : j’allais enfin pouvoir construire mon clavecin, ce qui me donnerait l’occasion de « bricoler » avec sérieux et puis aussi, pourquoi pas d’en jouer. Je n’ai donc pas hésité, j’ai commandé ce matériel sans trop savoir ce que j’allais trouver.
Je ne fus pas déçu, mais un peu découragé. Tout y était : planches, accessoires… mais pas de notice explicative . Heureusement, après avoir passé quelques mauvaises nuits, celle-ci arriva et je pus commencer sereinement la construction du clavecin . Au fil des jours, l’instrument a pris forme, il ne restait plus qu’à l’essayer et le jouer.
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H.G. : Qui avez-vous rencontré à ce moment là ?
J-C.M. : Il y eut Maryse Sorza, professeur de clavecin et flûte à bec au conservatoire d’Aix-les-Bains, qui, ayant appris qu’il y avait à Aix un clavecin (chose rare en ce temps là) a voulu me rencontrer pour voir cet instrument. Très impressionnée, elle m’a vivement encouragé à continuer et a réussi à persuader tout d’abord ma femme, Nicole, puis ma fille, Florence, de s’inscrire au conservatoire et de travailler cet instrument qu’elles ont vu naître.
Ce qu’elles ont fait volontiers avec le succès que vous connaissez, surtout pour Florence dont elle en a fait aujourd’hui sa profession.
Jean-Charles Monzani, fabrication du psaltérion
H.G. : Je suppose que cette réussite a eu des suites positives ?
J-C.M. : Bien sûr, au fil des années j’ai continué à fabriquer d’autres instruments, pour la plupart inspirés de modèles anciens, mais aussi de véritables créations de conceptions originales, dont un plus petit plus facile à transporter. Je possède actuellement une quinzaine d’instruments dont quelques uns sont parfois joués.
H.G. : En concerts ?
J-C.M. : Oui, il m’arrive d’en prêter ou d’en louer et ma fille s’occupe de les faire sonner, c’est dans ce but que je fais des instruments de différentes écoles pour pouvoir adapter à l’instrument la musique qui lui est dédiée.
Dernièrement j’ai loué une copie du XVI ème siècle pour le tournage d’un film sur la vie d’un célèbre voyageur du nom de Tavernier , grand amateur de clavecin. Ce fut une expérience amusante que de voir pendant une journée le tournage des scènes du film où apparaît mon clavecin… Clavecin inspiré des instruments du XVI ème évidemment.
Clavecin flamand Couchet
H.G. : Qu’elles sont vos préférences musicales ?
J-C.M : De part mon goût des sonorités anciennes, j’aime bien sûr la musique écrite pour ses instruments. Le moyen âge pour son côté acide. La renaissance, Monteverdi, Gabrielli pour la polyphonie et l’invention. Et bien sûr la musique baroque, grand moment du clavecin pour sa folie et son côté dansant. Rameau, Couperin, Bach, Haendel… jusqu’à Mozart qui n’est plus « baroque » mais incontournable.
Puis, je fais un grand saut pour arriver à la musique contemporaine (que j’écoute un peu aussi) en raison du traitement original du son. Enfin, le jazz aussi pour son originalité et l’improvisation (improvisation que l’on trouve déjà dans la musique baroque). La musique romantique et classique? La sonorité des instruments « modernes » peut être trop parfaits et aboutis m’étonne moins. Je l’écoute cependant à la radio, lorsque je suis dans mon atelier, mais j’éprouve moins de plaisir… un peu trop écrite et respectueuse de la partition peut être. En concert, c’est autre chose, puisqu’à ce moment là, il y a l’interprète qui se donne devant vous et vous transmet ses sentiments.
H.G. : Quels sont vos interprètes préférés ?
J-C.M. : Des clavecinistes bien sûr, Gustav Leonhardt, Scott Ross aujourd’hui décédé. J’ai assisté à son dernier concert au Château du Touvet (dans le cadre des Pâques Musicales d’Aix). On le savait perdu et ce fut le chant du cygne merveilleux et tragique à la fois. Dans les « jeunes » Kenneth Weiss, pour ne citer que lui. . Ma fille aussi me fait découvrir des jeunes talents en allant à leurs concerts
H.G. : Et le concert dans tout cela ?
J-C.M : Avec le temps, j’y vais beaucoup moins. Heureusement, il me reste ma fille qui se produit assez régulièrement dans la région et à Angoulême. Ce sont des concerts que je ne rate jamais. Nous faisons aussi partie d’une association crée par des amis qui ouvrent la porte de leur maison à de nombreux musiciens. J’y ai vu des grands du clavecin tel Gustav Leonhardt par exemple. Dans ce très beau cadre, je vais aussi à des concerts de musique romantique. Là, j’ai du plaisir à écouter cette musique, le « live » étant une approche plus vivante.
Bien sûr, je regrette tout de même « Les Pâques Baroques », qui étaient pour moi un véritable régal.
H.G : Et aujourd’hui à Aix-les-Bains, y trouvez-vous votre compte ?
J-C.M : Non! Aix-les-Bains est à l’image de la société. La musique dite classique est délaissée. Nos valeurs culturelles et artistiques sont en train de disparaître, et peu de gens s’en soucient… Mais c’est l’éternel combat des « anciens et des modernes ».
Au XIX ème, la musique baroque était délaissée. Il a fallu Wanda Landowska pour la remettre au goût du jour. Il y aura toujours des passionnés qui feront la promotion de la musique classique en organisant des concerts. De toute façon, il faut continuer à faire connaître ce que nous plaît si l’on veut voir perdurer ce que l’on aime.
H.G : En un mot, pour vous personnellement, qu’elle est votre réussite ?
J-C.M : Ma famille, ma femme et mes enfants sans lesquels ma vie serait sans grande saveur.
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H.G. : Un dernier mot ?
J-C.M : Maintenant, je dois peut être penser à prendre ma « retraite » de facteur amateur, la place dans la maison commençant à manquer pour loger d’autres instruments... mais il ne faut jamais désespérer, je vais bien trouver un biais pour pallier à cette situation.
De toute façon, je suis content car la facture de clavecin m’a appris l’humilité, humilité qu’on retrouve aussi chez les musiciens qui font revivre cette musique. On entend parfois en fin de concert d’un ensemble de musique baroque : « Le clavecin, je ne l’ai pas beaucoup entendu.» Mais si on le supprime, c’est là qu’on voit son importance.
Ce grand discret a lui aussi sa place.
H.G. : Jean-Charles Monzani, je vous remercie.
Jean-Charles Monzani, épinette italienne
Pour consulter le site de Jean-Charles Monzani : http://www.jcmonzani.com
Hervé Gallien
Propos recueillis le 6 novembre 2006