H.G. : Votre but est donc atteint ?
C.D. : Je ne sais pas vraiment. Peut-être suis-je dans une période d’attente ! Peut-être ai-je envie de découvrir d’autres choses, aller encore plus loin ! Je suis confrontée à cette difficulté, dans l’orchestre, de garder la fraîcheur et la vitalité nécessaire à l’interprétation exigée. Hors un musicien joue toutes les semaines « des kilomètres de musique », s’assoit devant son pupitre, où la veille il a joué un gros programme de Bruckner qui l’a marqué et aussi épuisé et doit sans transition, déchiffrer en deux jours un opéra de Mozart.
Et puis,vivre dans un orchestre, c’est aussi savoir accepter de jouer peut-être avec un voisin qui ne travaille plus son instrument, ou qui est insupportable !! Ce sont les inconvénients d’un système que j’ai du mal à accepter. C’est pourquoi mon avenir n’est pas figé, le temps viendra où je pourrai décider. Cela dit, malgré ces difficultés, je reste une artiste passionnée.
H.G. : Votre parcours est prodigieux ! Qu’en pensent vos parents ?
C.D. : Au début, ils ont eu, comme beaucoup de parents, une certaine réticence, mais ils ne se sont jamais opposés à mon désir de réussite. Ils m’ont aidé à leur manière, comme ils ont pu, et je ne peux m’empêcher de penser au sacrifice qu’ils ont dû faire, lorsqu’ils m’ont acheté mon premier alto professionnel, fabriqué chez un luthier. Cela a été pour leur modeste budget, un effort considérable qu’ils ont assumé. Et je les en remercie profondément.
H.G. : Vos nombreuses activités musicales, vous ont-elles permis de poursuivre vos études générales ?
C.D. : Oui, j’ai fait toutes mes études scolaires à Aix-les-Bains, de la maternelle au lycée, où j’ai obtenu mon bac B.
H.G. : En un mot, comment définissez-vous votre profession ?
C.D. : Artiste ! Artiste avant d’être altiste. Mon instrument n’est que le moyen d’exprimer mon âme d’artiste. Il est le prolongement de mon corps, le prolongement de moi-même, mais il est avant tout un « instrument ». Il sert la musique que j’aime, cette musique qui a d’abord été pour moi, le moyen de sublimer un manque d’affection et une solitude extrême. Adolescente, je me sentais connectée à Schubert, Beethoven et aux grands romantiques. Aujourd’hui, mon amour pour la musique est peut-être moins intéressé, mais plus destiné à donner du bonheur aux autres. C’est pourquoi je suis artiste jouant de l’alto. Mais, j’aurais pu, tout aussi bien jouer du violoncelle ou être cantatrice.
H.G. : Quel est votre compositeur préféré ?
C.D. : Bach ! Jean-Sébastien Bach, qui m’apporte la confiance et la sérénité dont j’ai tant besoin. Je suis subjuguée par l’écrasante beauté de sa musique. Elle m’entraîne dans un autre monde, ce monde solitaire empreint de sagesse, cette sagesse de laquelle je me sens très proche pour avoir été en contact dans l’enfance. J’aime aussi Mozart, Schubert, Tchaïkovsky et les grands romantiques, que j’affectionne tout particulièrement.
H.G. : Et vos artistes préférés ?
C.D. : Il y en a beaucoup évidemment, mais avant tout, la soprano baroque Sandrine Piau, et le contre-ténor allemand Andréas Scholl.
H.G. : En alto, quel est l’interprète qui vous a le plus marqué ?
C.D. : Mon professeur de Friburg, (Kim Kashkashian) qui était avant tout humaine. C’est elle qui m’a donné le son, la qualité du beau son. C’était son exigence première, et c’est là que j’ai compris l’importance de ce son organique-corporel qui crée le lien entre le corps et l’instrument. C’est pourquoi l’instrument est la prolongation de mon corps, de moi-même.
H.G. : Y a-t-il eu d’autres personnes influentes dans votre vie ?
C.D. :Non. Je n’aime pas être influencée. Je n’aime pas écouter les autres, aussi talentueux soient-ils, pour les copier. L’interprétation musicale est personnelle et n’appartient qu’à nous-mêmes.
H.G. : Vous avez d’autres passions ?
C.D. : Je suis curieuse et tout m’intéresse : le cinéma, la littérature, la philosophie qui étudie le comportement et la souffrance des gens, la peinture - je peins moi-même – qui est une autre manière de vivre ma vie d’artiste, la couture aussi, et même la cuisine.
Mais je suis contemplative. J’aime la nature, les longues promenades solitaires en montagne, le silence des hauts sommets nécessaire à mon ressourcement. Je suis aussi sportive. J’ai fais de la danse dans mon enfance. J’essaie avant tout d’avoir une vie saine pour bien me sentir dans ma peau et m’ouvrir chaque jour, un peu plus aux autres.
H.G. : Vos convictions sont, semble-t-il, pas toujours compatible avec la société dans laquelle nous vivons !
C.D. : La société, je voudrais la changer. Je voudrais changer le monde pour que tous les gens soient respectés. Le problème principal, selon moi, est l’écologie, et je suis ulcérée par des comportements irresponsables ,manquant de respect de la nature ,venant de tous côtés. Cette société je l’aime, mais je fais aussi tout pour la fuir. Je ne la ressens pas, elle n’est pas ma nature première.
H.G. : Quels conseils donneriez-vous à ceux qui voudraient s’engager sur la voie que vous avez choisie ?
C.D. : Travailler ! Toujours travailler, travailler sans relâche pour se perfectionner. Ne jamais rester dans la médiocrité, toujours viser le plus haut possible, vaincre les difficultés par la ténacité.
H.G. : Que détestez-vous le plus ?
C.D. : Le manque d’amour. Le manque d’amour entre les êtres, le manque d’amour dans la façon de réaliser les actes de la vie, et pour la musique, le manque d’amour dans la façon de la jouer.
H.G. : Par quoi aimeriez-vous conclure ?
C.D. : Je voudrais dire que faire de la musique en professionnel est une chance et un luxe, et que c’est pour cela qu’il faut inexorablement travailler. Je suis heureuse et fière d’être payée pour apporter aux autres le bonheur auquel ils ont droit, et ce bonheur, je le partage volontiers.
H.G. : Claire Duquesnois, je vous remercie.