« This Is Your Brain On Music » est un essai de vulgarisation que Daniel Levitin, neuropsychologue, directeur du laboratoire de recherche en perception, cognition et expertise musicale de l’Université McGill, a écrit sur le rapport entre le cerveau et la musique. Publié l’été dernier, le livre est devenu un best-seller aux États-Unis et est en cours de traduction en français.
Daniel Levitin explique que quand on apprend une chanson à la guitare, ce sont les doigts qui l’apprennent et que lorsque l’on est chaviré par une chanson, c’est notre cœur qui l’éprouve. C’est vraiment ce qu’on ressent, mais c’est une illusion.
Si, comme disait le compositeur Edgar Varèse, la musique est du son organisé, le son, lui, n’est rien de plus que les vibrations de molécules d’air sur notre tympan. Pour que ces molécules prennent une forme intelligible, la partie auditive du cerveau distingue les différentes composantes de la musique comme le registre, le timbre, le tempo, la réverbération et le volume. Mais comme on est porté à l’oublier, la musique sollicite aussi les parties du cerveau qui abritent la mémoire et les émotions.
Dans une de ses première expériences, Daniel Levitin arrêtait des inconnus dans la rue et leur demandait de chanter de mémoire une de leurs chansons favorites. En comparant avec les chansons originales, le professeur s’est aperçu que la plupart des gens arrivaient à reproduire le tempo avec une marge d’erreur de quatre pour cent et que deux tiers d’entre eux arrivaient à reproduire la tonalité avec un demi-ton de différence.
Dans une autre expérience, Daniel Levitin et un groupe de neurologues ont fait écouter de la musique classique à 13 personnes pendant qu’ils observaient leurs cerveaux avec une machine d’imagerie par résonance magnétique (IRM). Suivant les réactions des neurones, ils ont réalisé que la musique atteignait d’abord le lobe frontal où sont analysés la structure et la signification de la musique. Mais ils ont aussi vu qu’elle se dirigeait dans l’aire tegmentale ventrale et le nucleus accumbens, des aires où le cerveau relâche de la dopamine, un neurotransmetteur entre autres responsable du plaisir. Et que la musique faisait aussi, réagir le cervelet, une zone associée au mouvement qui perçoit les variations de tempo, de rythme d’émotions contenues dans un morceau.
La musique active certaines parties du cerveau, qui sont aussi activées par le sexe et la drogue. D’une certaine façon, c’est pour ça qu’on se souvient aussi bien de nos chansons favorites. La musique est surtout affaire d’émotions. Sans trop savoir pourquoi, les gens mettent leur réveil matin à un certain poste pour les aider à se réveiller. S’ils se disputent avec leur copain ou leur copine, ils écoutent une chanson qui leur donne de l’espoir. S’ils se sentent stressés ou tendus, ils font tourner un disque relaxant.
Plus les humains comprennent la relation entre la musique et le cerveau, mieux ils peuvent la contrôler. Ce n’est pas comme si on pouvait aller chez un docteur qui nous dise : “Prenez deux chansons de Joni Mitchell et appelez-moi demain matin”. Il faut trouver (les chansons) nous-mêmes.
Grâce à une disposition génétique, les humains associent la musique lente et grave à la tristesse, alors que la musique rapide et aiguë nous paraît joyeuse. Mais les émotions que provoquent les manipulations du rythme, du timbre et du volume, sont acquises et varient selon les cultures. Autrement dit, si vous faites entendre un joyeux concerto de Vivaldi à une tribu amazonienne, rien ne dit qu’ils ne voudront pas vous zigouiller.
Pour le neuropsychologue, il faudrait changer notre façon d’enseigner la musique, pour tenir compte de l’émotion. À l’école, quand on ne joue pas les bonnes notes, notre professeur nous engueule, et si on les joue bien, il nous donne des choses plus difficiles à jouer. Mais, dans la réalité, la musique n’a pas grand-chose à voir avec ça. Quand on va dans un concert, la plupart des gens ne savent pas si on joue les bonnes notes ou pas. Et, ils s’en fichent. Ils vont au concert parce qu’ils veulent avoir une expérience émotionnelle. Les meilleurs musiciens qui réussissent à nous émouvoir en déjouant légèrement nos attentes ont fait leur carrière en violant les expectations de rythme.
La musique semble avoir cette qualité évasive et presque butée, défiant la simple explication, comme si plus on en découvrait et plus il y en avait à savoir, plus son pouvoir et son mystère restaient intacts. Peu importe à quel point on cherche et on creuse.
Hervé Gallien,
6 janvier 2007