Négligé par le public et rejeté par la critique, Carmen a rendu Bizet célèbre dans le monde entier. Son opéra attire depuis plus d’un siècle les plus grandes voix, les plus grands chefs d’orchestre, les plus grands metteurs en scène, dans les plus grands théâtres lyriques du monde, ainsi que les plus grands cinéastes, avec un succès jamais démenti, à tel point qu’en Espagne, Carmen est devenu « l’Opéra National », alors que Bizet, le plus parisien de tous les compositeurs français, n’a jamais mis les pieds dans ce pays.
Georges Bizet était avant tout un pianiste. Enfant prodige, il entre au Conservatoire de Paris à 9 ans, obtient son premier prix de piano à 14 ans et en ressort à 17 ans avec tous les diplômes nécessaires pour mener une carrière d’interprète et de compositeur. Consécration suprême, à 18 ans, il obtient le « Grand Prix de Rome », prix décerné aux compositeurs d’exception, qui lui permet de séjourner trois ans à la « Villa Médicis » - palais situé sur le Pincio à Rome, qui héberge depuis 1803 l’Académie de France – aux frais de l’Etat italien, pour se consacrer uniquement à la composition et côtoyer les plus grands artistes de l’époque.
La Villa Médicis
De retour à Paris, il rencontre au cours d’une soirée mondaine – et très parisienne – le célèbre compositeur et pianiste virtuose Franz Liszt, qui, par défi, mais surtout par amusement, lui joue une de ses œuvres les plus difficiles : une « étude transcendante ». Il lui dit alors : « Je ne connais que deux pianistes capables d’exécuter cette œuvre telle qu’elle est écrite : Hans de Bülow (célèbre chef d’orchestre, premier gendre de Liszt) et moi-même ». Bizet qui ne connaissait pas cette étude se met au piano et joue de mémoire le passage de plus difficile techniquement.
Surprise ! Liszt n’en croit pas ses yeux / ses oreilles. Il pose alors la partition sur le pupitre du piano et demande à Bizet de la jouer intégralement. Là, c’est la stupéfaction ; Bizet ne fait aucune erreur. Liszt lui dit : « Je m’étais trompé. Nous sommes trois à pouvoir jouer cette partition, et le plus jeune des trois, le plus audacieux et le plus brillant, c’est vous ».
Franz Liszt (1811-1886)
Bizet va composer un certain nombre d’œuvres, une symphonie, trois opéras (dont « Les Pêcheurs de Perles »), une Musique de scène pour « L’Arlésienne » d’Alphonse Daudet, et différentes choses peu originales.
Le succès lui échappe toujours ; il ne suscite qu’indifférence et critiques, jusqu’au 3 mars 1875, jour ou il croit tenir son triomphe tant attendu. Ce jour là, c’est la première représentation de sa dernière œuvre, son quatrième opéra : Carmen.
Hélas ! C’est une véritable catastrophe. Son opéra est hué, la critique se déchaîne et le descend complètement. Le journal « Le Gaulois » écrit : « Monsieur Bizet appartient à l’école du civet, mais sans lièvre. Il est difficile d’aller plus loin sur la route des amours cavaliers, sans provoquer l’intervention des sergents de ville… ».
Toute la presse s’empare de l’affaire et pourtant Bizet garde confiance. Au fil des représentations, le succès est de plus en plus présent. Malheureusement, il n’aura pas le temps de savourer son triomphe. Il meurt trois mois après la première représentation. La gloire lui aura toujours échappée de son vivant.