L’inquiétude des archetiers
« Paganini n’aurait jamais eu un tel succès sans le bois de pernambouc ! », déclare volontiers l’archetier Edwin Clément. C’est sa façon de dire qu’un grand violon n’est rien sans son archet.
Edwin Clément
Dans sa ferme du Morvan, il veille jalousement sur son « tas de bois » de permanbouc, avec lequel il fabrique une trentaine d’archets par an, dans son atelier parisien. Ce bois, qui est la matière première des archets de haute qualité, vient de voir son commerce restreint par la communauté internationale. Pour les responsables environnementaux, cet arbre de dix mètres de haut, est une espèce menacée d’extinction. Poussant uniquement dans la forêt pluviale atlantique du Brésil, il n’a cessé de voir ses réserves diminuées. Un spécialiste des forêts tropicales au CNRS, n’hésite pas à affirmer qu’il représente tous les facteurs de l‘espèce en danger, les cultivateurs, éleveurs et bâtisseurs de villes, n’hésitant pas à s’approprier le terrain propice à la survie de cet arbre auquel il reste à peine 10% de sa forêt d’origine.
Tronc de pernambouc
Le Brésil a pourtant joué sur l’exploitation commerciale du pernambouc, avec en ligne de mire, les seuls utilisateurs avérés : les fabricants d’archets. Plus de quatre cents petites entreprises se sont réparties dans le monde entier à commencer par la France.
Si l’Italie est le berceau du violon, la France reste la patrie des archets, grâce à François-Xavier Tourte (1748-1835), père de l’archèterie moderne. C’est lui, qui, à la fin du XIIIème siècle, profita des qualités uniques du pernambouc (densité, robustesse, élasticité), pour inventer l’archet moderne. Cette découverte à fait passé la musique des salons, aux grandes salles de concert et a multiplié les possibilités techniques offertes aux violonistes.
De retour de la Haye, ou Edwin Clément a assister au désastre annoncé, il décida de continuer à se battre pour sauver la matière de son outil de travail : « Nous sommes les premiers à avoir prévu le danger et les seuls à avoir mis en place un plan de sauvegarde. Depuis 2000, 80% des archetiers de la planète, versent 2% de leur chiffre d’affaire pour la conservation du pernambouc. Grâce à cette participation, 500 000 arbres ont été plantés en cinq ans et des actes de sensibilisation, largement diffusés.
Mais le Brésil fait souffler le chaud et le froid, ses intérêts politiques et financiers jouant avant tout. Semblant se moquer du problème du pernambouc, il exige une participation financière plus importante, afin de satisfaire d’autres besoins pas toujours avouables.
Edwin Clément n’a guère d’espoir. Cela fait deux cent cinquante ans que l’on cherche un substitut à cet arbre rare. « Ne racontons pas d’histoire ! Il n’y en pas. La fibre de carbone ? Peut-être. Mais cela deviendra de la chimie, une activité polluante dont on devra traiter les déchets. »
Edwin Clément, qui n’a que quarante ans, affirme que c’est avec son « tas de bois », qu’il va finir son activité professionnelle, et que la transmission de son métier ne pourra se faire : « J’ai peut-être assez de bois pour aller jusqu’à la retraite, mais pas mon successeur. » Edwin Clément émet un seul souhait : ne pas faire partie des derniers dinosaures !