« Siegfried », deuxième journée de « L’anneau du Nibelungen », est l’opéra pivot de cette « Tétralogie », en 1 prologue et 3 journées : « L’Or du Rhin », « La Walkyrie », « Siegfried » et « Le Crépuscule des Dieux ».
Cette deuxième journée est le temps de repos que Wagner s’accorde après les péripéties des deux opéras précédents qui reposent essentiellement, d’une part, sur les tribulations de l’or du Rhin, or maudit, pour lequel Alberich renonce à l’amour, or maudit que Wotan s’approprie par la ruse et que les Géants obtiennent par le chantage, et, d’autre part, sur les amours incestueuses des jumeaux Sigmund et Sieglinde qui donnent naissance à Siegfried, et enfin, sur la trahison de Brünnhilde, condamnée par son père adoré, au sommeil « éternel » sur un rocher entouré d’un cercle de feu, jusqu’à ce qu’un super héros, celui qui ne craint pas la peur, franchisse les flammes pour la délivrer de ce sortilège, en la réveillant en femme humaine et amoureuse, perdant ses droits divins.
C’est ici que commence l’histoire de Siegfried, conte merveilleux de l’homme qui ne connaît pas la peur.
En donnant naissance à Siegfried, Sieglinde confie son fils et Notung, l’épée magique de Siegmund brisée par la volonté d’un Wotan trahit par sa propre pensée, au fourbe forgeron Mime, qui lui, par contre, connaît la peur. Il a peur de tout, des animaux, du géant Fafner métamorphosé en dragon gardant jalousement son trésor : l’or du Rhin. Mais plus encore, c’est de Siegfried qu’il a le plus peur. Il a peur de son inconscience, de sa force, de son énergie et de son incapacité à connaître cette peur qui l’habite.
Le forgeron incapable de reforger Notung, c’est Siegfried qui, au mépris des règles de l’art, reconstruira le glaive magique et lui redonnera son pouvoir. Il pourra alors prendre le chemin initiatique qui le conduira à tuer le dragon dont le sang le rendra invincible et lui permettra de comprendre le langage des oiseaux, qui lui permettra d’accéder au rocher cerclé de flammes, où Brünnhilde, profondément endormie, attend le héros qui la réveillera. C’est pour cette femme, amante, épouse, mère, sœur, image sublime d’entre toutes, que Siegfried enfin, connaîtra la peur, l’amour, et entrera définitivement dans le monde des humains.
À Lyon, le rideau s’ouvre sur la vision inconsciente de Siegfried sommeillant sur la souche du tronc décapité du frêne, transpercé dans un temps lointain (La Walkyrie) du glaive magique que Siegmund saura s’approprier. Siegfried sommeille sous le branchage feuillu à souhait de ce même frêne, peuplé de souvenirs enfouis, cadavres, héros et ruines annoncées d’un Walhall dont la destruction est déjà commencée. Siegfried sommeille à côté de la forge du fourbe forgeron, gouffre rougi de flammes jaillissantes du centre de la terre (L’Or du Rhin). Le rideau s’ouvre sur les trois éléments wagnériens du « Ring » : le primitif, l’humain et le divin.
Ce n’est que lorsque les flammes rougeoyantes de la forge, s’élèveront du gouffre, mains humaines caressantes et caressées redonnant au glaive sa forme originelle et l’offrant à Siegfried, que le héros pourra enfin entamer sa marche sur le chemin de la liberté.
Au deuxième acte, le ciel branchu et feuillu du frêne s’est effondré sur le sol jonché de ses cadavres, héros et ruines, ouvrant en son centre le gouffre de la caverne de Fafner, qui, dragon terrifiant, sortira de son repaire en une pyramide humaine lentement constituée, lui redonnant sa forme primitive de géant stupide. C’est le coup fatal de l’épée de Siegfried qui le désintégrera, réduisant cette pyramide à un seul homme, qui mourra dans les bras du héros, le tachant de son sang par lequel notre héros gagnera son invincibilité et son don du langage des oiseaux. Ici, l’Oiseau de la forêt, femme agitant gracieusement ses deux ailes, parlera. Siegfried comprendra : là-bas, sur un rocher, prisonnière d’un cercle de feu, une femme endormie, l’attend.
Troisième acte : le décor a disparu. Seul un cercle de corps humains endormis, couchés à même le sol, tâche blanche immobile au début, se mettra en mouvement à l’approche de Siegfried. Ces corps, cercle rougeoyant des flammes de Loge, laisseront le passage au héros et s’effaceront lentement l’abandonnant sur une scène noire, dénudée, dont Siegfried en un geste lent et tremblant, dévoilera sur un drap blanc et virginal, le corps endormi de la femme attendue, découvrant enfin la peur par la femme et l’amour.
Cette mise en scène de François Girard, d’une grande beauté esthétique et visuelle par la force de son imagination et la qualité de sa réalisation, jointe à l’Orchestre de l’Opéra de Lyon dirigée de main de maître par Gérard Korsten, orchestre d’une puissance expressive inégalable (les cordes manquant tout de même un peu de « moelleux »), nous ont comblés et ont sauvé un spectacle qui aurait dû atteindre la perfection, si les voix avaient été à la hauteur.
A l’exception d’un exceptionnel Alberich, voix puissante, juste, toute entière dans son personnage, d’un très bon Mime, mais souvent insuffisant dans l’articulation dont manquaient les saccades méprisantes d’un être lâche, apeuré et rongé par le meurtre prémédité, d’une Erda, qui, pour son cours passage, a été convaincante avec une belle voix ample et noble, il ne reste pas grand chose.
Si le Voyageur avait fait bonne figure dès son entrée avec un beau timbre et une belle musicalité, au fil du temps, sa voix a perdu de sa puissance et de sa beauté par un manque d’inflexion et de conviction. Elle s’est éteinte définitivement au troisième acte, et plus rien ne passa, sinon quelques râles dans les pianissimo orchestraux.
La voix de Siegfried a été égale de bout en bout, sans présence (ni présence scénique d’ailleurs), sans nuances, sans transparence. Stig Andersen a été d’un ennui prodigieux, au point d’en détruire totalement la fin du troisième acte où son duo révélateur avait perdu tous sens.
La voix de l’Oiseau de la forêt, fragile avec des aigus difficiles a été bien décevante. La brièveté du rôle a quelque peu sauvé la situation qui aurait pu devenir vraiment critique.
Enfin, Brünnhilde, déjà ridicule dans sa robe de bourgeoise XIXème siècle, a été pitoyable. À peine audible dans les piano orchestraux, elle s’est contenté de cris épouvantables dans les fortissimo, c’est dire que le duo final, point culminant de l’opéra, avec un Siegfried totalement absent, fut ennuyeux, scandaleux et calamiteux.
De ce Siegfried lyonnais, nous ne retiendrons que l’association Korsten-Girard, l’orchestre et la mise en scène, qui ont réussi à sauver un spectacle dont l’erreur fut la distribution. L’Opéra de Lyon ne méritait pas ça… nous non plus !
Il faut encore hélas, mentionner le surtitrage en français (!), indispensable pour qui veut connaître l’histoire de l’œuvre et le sens de la pensée wagnérienne : texte traduit en dépit du bon sens, trahison du contenu, suppression arbitraire de nombreux passages importants. Le non-respect du public s’ajoute à notre déception.