Le sacre du printemps de jeunes musiciens de grand talent
« Sacre et danse »
Florestan Boutin, Michaël Ertzscheid, pianos
Sylvain Lemêtre, Claudio Bettinetti, percussions
Festival Les Nuits d’été
Eglise de Yenne, vendredi 3 août 2007, 20h30
Eglise de Yenne
Claude Debussy (1862-1918), Nuages et Fêtes (transcription : Maurice Ravel)
Igor Stravinsky (1882-1971), Le Sacre du Printemps
Maurice Ravel (1875-1937), Boléro
Quel culot ! Ils ont osé et ils ont gagné. Enfin… presque ! Le pari de consacrer l’intégralité d’un concert à des chefs-d’œuvre archi-connus, dans une version réductrice et inédite – substituer au grand orchestre symphonique deux pianistes et deux percussionnistes – était une gageure. Elle a été tenue et ovationnée à juste titre.
Pourtant, dès les premières notes, le doute s’est installé. D’abord parce nous attendions « Le Sacre du Printemps » et que nous avons eu, sans avertissement préalable, « Nuages et Fêtes », oeuvre qui devait « finir en Fêtes cette soirée intense et jubilatoire » selon la notice, ensuite parce que le chef-d’œuvre de Debussy nous a paru bien terne, un peu scolaire et surtout très technique, oubliant le lié et le flot impressionniste des harmonies debussystes, réduisant considérablement l’émotion attendue. C’était homogène mais peu convainquant. A la tension émotionnelle indispensable, s’est substituée une tension inquiétante, émanent essentiellement des deux pianistes, plus préoccupés par le sans faute que par l’épanchement de cette musique intense, profonde et sans discontinuité.
« Le Sacre du Printemps », le chef-d’œuvre de Stravinsky, hué à sa création en 1913, pour son modernisme et son avant-gardisme insolent, dérangeant et redoutable, d’une difficulté technique sans pareille, a été le moment privilégié de la soirée. Les percussionnistes d’abord, jouant a égalité avec les pianistes, consolidant, renforçant et déterminant l’esprit de l’œuvre, ont été à la hauteur des plus grands : virtuosité, précision, nuance, musicalité, maîtrise absolue de leurs nombreux instruments, se déplaçant sans cesse de l’un à l’autre dans des enchaînements réglés à la perfection. Epoustouflants, ils se sont modelés, intégrés, fondus, portant sans faille les pianistes qui parfois ont eu de la peine à ne pas se laisser écraser par tant de puissance savamment calculée. Malgré cela, les pianistes n’ont pas démérité et se sont joués des innombrables difficultés de la partition écrite pour les instruments d’un orchestre d’une centaine de musiciens, qu’ils ont du recréer avec les vingt doigts de leurs quatre mains. Leur compréhension du texte, leur style affirmé, précis et d’une grande netteté, ont fait merveille, même si on aurait souhaité un peu plus d’allant et de conviction pour faire oublier une sagesse prudente mais compréhensible, face à cette partition. Quoi qu’il en soit, les quatre artistes ont bouleversé un public attentif et enthousiaste.
C’est donc sur le « Boléro » de Ravel que c’est terminé cette soirée. Cette œuvre, chantée sur toutes les lèvres, était attendue impatiemment. C’est ici que les véritables difficultés de la transcription, donc de l’interprétation, sont apparues. Le but du compositeur, était au travers de son « Boléro », de faire entendre le timbre de tous les instruments de l’orchestre, successivement, puis ensemble, dans un final tonitruant, et ceci, en employant une seule nuance : le crescendo allant du pianipianissimo au fortifortissimo, sous la conduite répétitive et sans concession de la caisse claire, jouant le rythme immuable du boléro, en vedette incontestée de cette œuvre populaire. C’est sur cet instrument que tout le monde s’accorde, se repose et s’exprime. Le joueur doit en être un virtuose. Celui d’hier soir l’était, même si son départ quasi mezzo-forte, a réduit à néant le pouvoir suprême de la nuance maîtresse , indispensable au caractère de l’œuvre. Les pianos de pouvant évidemment pas imiter les cordes et les vents, ont joués sur d’autres aspects, différents mais peu variés. Ce n’est qu’au final qu’on a commencé à ressentir quelques émotions, les percussions entrant vraiment dans le jeu, les pianos octaviant et frappant les accords raveliens dans leur toute puissance, nous conduisant , malgré quelques fausses notes, aux dernières mesures fracassantes à souhait, nous laissant une forte impression de bonheur complet.
Cette soirée restera avant tout, l’interprétation du « Sacre du Printemps », par quatre jeunes musiciens audacieux dont l’avenir paraît prometteur. Ce fut un très beau concert, passionnant, intelligent, avec quelques imperfections, mais avec surtout de grands moments d’intenses émotions.