Festival en Bauges, les musiques abandonnées
« Arie, Lamenti et Variaciones instrumentales »
Montserrat Figueras, soprano
Rolf Lislevand, guitare et théorbe
Jordi Savall, basse de viole
9ème Festival Musique et Nature en Bauges
Eglise de Gruffy, mercredi 25 juillet 2007, 21h
Eglise de Gruffy
Diego Ortiz (1510-1570), Recercadas sobre Tenores
Sebastian Duron (1660-1716), José Marin (1618,1699), Juan Hidalgo (1612-1685), Tonos Humanos (Sosiegen descansen, Mi senora mariantanos, Ojos puès me desdenyais, Trompicavalas amor)
Tobias Hume (1570-1645), Musicall Humors
Tarquinio Merula (1595-1665), Canzonetta spirituale sopra la nana (Hor ch’e tempo di dormire, Sentirete una canzonetta)
Gaspar Sanz (1640-1710), Jacaras & Canarios
Marin Marais (1656-1728), Folies d’Espagne
Tarquinio Merula (1595,1665), Aria sopra la Ciaconna (Sula cetra amorosa)
Depuis plus de trente ans, Jordi Savall fait connaître au monde les merveilles musicales abandonnées dans l’obscurité et l’indifférence, notamment, celles de la fin du XVIème siècle au début du XVIIIème, proposées hier soir en l’église de Gruffy, à un public particulièrement curieux et exigeant.
Cette curiosité et cette exigence, nous ont totalement comblés.
Jordi Savall se confond dans les sonorités mystérieuses et contrastées de sa basse de viole qu’il fait sonner en utilisant toutes les capacités propres à cet instrument : douceur, susurrement, caresse, agression, viol, dans la grâce d’un geste large, précis et étudié, avec une sensibilité et une musicalité impressionnantes.
Jordi Savall
Rolf Lislevand, jouant de sa guitare à son théorbe avec une incroyable virtuosité, s’engouffre sans complexe dans des œuvres d’une grande difficulté, délivrant ses instruments du rôle d’accompagnement auquel on est habitué. Ici, il souligne, prend la parole, s’exprime, se retire pour ressurgir dans un flot de couleurs appropriées, modelées, qui font presque oublier son immense talent et sa grande virtuosité. Avec la basse de viole de Jordi Savall, les trois instruments ne font qu’un, sons entremêlés, confondus et pourtant distincts. Une réserve pourtant pour les « Folies d’Espagne » où le théorbe absorbe la basse de viole dans une confusion organisée, peu propice au petit chef-d’œuvre de Marin Marais.
Rolf Lislevand
Pour ceux qui ne l’avaient jamais entendue, Montserrat Figueras a été la surprise. Et quelle surprise ! Une interprétation à l’image de la femme, fougueuse, passionnée, superbe, convaincue à défaut de convaincre, merveilleuse à défaut de déplaire. Elle a donné aux textes un sens particulier, délibérément choisi, étonnant par sa variété, mais aussi par son instabilité calculée. Sa voix en constante mutation, exprime le sens de tous les mots. Elle les dit, les parle, les chante, les parle chantés, les chante parlés, les triture, les jette en pâture, avec une vigueur et un courage désarmant, laissant quelques doutes sur l’incertaine justesse de quelques notes bien ciblées.
Montserrat Figueras
Mais c’est peut-être cela l’interprétation cette musique ancienne d’un autre temps, aux accents fréquents d’une musique contemporaine de notre temps : Stravinsky et ses « Noces » parmi d’autres exemples. Pour se laisser prendre au jeu, se laisser pénétrer, pour l’aimer, il faut nous en laisser le temps, nous laisser écouter dans le silence.
Hélas, les commentaires pédagogiques de Jordi Savall, néfastes dans ce contexte, dont d’ailleurs on ne comprenait ni les mots ni le sens, ont réduit notre concentration au néant. Et pour en rajouter, l’inévitable pause de dix minutes pour se dégourdir les jambes, a rompu le charme qui commençait à opérer. Il a fallu tout recommencer.
Mais notre bonheur reste intact. Nous avons écouté hier soir, trois merveilleux artistes, dont on peut débattre, certe, mais longuement applaudis dans l’église de la petite commune de Gruffy, pleine à craquer - une heure de file d’attente pour y entrer.
Une lueur d’espoir est apparue sur l’impact de cette musique classique tant décriée, moribonde aujourd’hui, mais qui pourrait bien se réveiller grâce à des concerts comme celui-ci, d’une exceptionnelle qualité. Dans notre région, c’est dans les petits villages, en périodes estivales, que maintenant il faut chercher. Hier, « Les Voix du Prieuré du Bourget-du-Lac », aujourd’hui, « Musique et Nature en Bauges », demain quelques autres initiatives sur lesquelles nous reviendrons, permettont peut-être de consolider un avenir incertain.
Mais laissons au président du Festival des Bauges le mot de la fin : « La musique dite « classique », en réalité la musique universelle, la musique de toujours, souffre parfois d’une image dégradée, une idée qui, au XXIème siècle, serait à ranger au rayon des pratiques anciennes et démodées. En réalité cette musique n’a jamais cessé d’être au cœur de nos vies… La musique classique est partout, tout le monde la connaît et tout la monde l’aime… »
Espérons qu’il soit entendu en d’autres lieux !
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